Les vétérans Sarlin et Bournois.
Si
l’histoire a gardé le souvenir de la gloire, mais aussi de la violence, des
guerres de l’Empire, elle a très largement négligé de s’interroger sur ce que
sont devenus les principaux acteurs de ces heures célèbres. Pourtant, les
soldats de Napoléon, après 1815, sont des figures importantes de la société
française. La façon dont ils ont rencontré les données du politique au sein de
l’armée, les voies par lesquelles la guerre a modifié leurs destins dans la
société de leur temps en disent long sur les réalités de la France du XIXe
siècle. En témoignent les destins croisés de Louis Sarlin, né en 1790 à
Ansouis, petit village du Vaucluse, et de Bournois, né, sans doute lui aussi en
1790, dans le département du Doubs.
Louis Sarlin s’est enrôlé en 1811 comme remplaçant
pour le prix élevé de 4000 francs, alors que son père dispose pourtant de
l’aisance d’un négociant en bestiaux. Louis semble donc prêt à tenter le sort
pour s’enrichir quelque peu, à moins qu’il n’ait eu tout simplement le goût de
l’aventure... Au retour de la guerre, qu’il a faite dans les rangs des
grenadiers, il reprend place dans son village natal, où il se marie avec la
fille d’un modeste salpêtrier. Il y réside au moins jusqu’en 1830, date de la
mort de son épouse. Mais six ans plus tard, il n’apparaît plus aux rang des
habitants d’Ansouis. En 1838, on le retrouve “ propriétaire à
Alger ” : a-t-il cherché dans une vie outre-mer l’oubli de ses
chagrins de veuf ? A-t-il profité de cet état de veuf pour renouer avec une
forme d’aventure ? Il a en tout cas prudemment confié sa fille Léonide à
son frère, Jean Baptiste, lui aussi vétéran des armées impériales, établi lui
aussi à Ansouis. Lorsque ce dernier décède, en 1842, Louis est identifié comme
marchand domicilié et demeurant à Alger. Louis conserve pourtant des liens non
seulement affectifs mais aussi matériels avec sa commune natale :
détenteur de 73 ares seulement en 1838, il est à la tête de 50 hectares en
1858. Il laisse en 1866, à son décès, une fortune conséquente au regard de la
société de son village puisque ce sont plus de 22 000 francs qui
reviennent à ses héritiers. Ses deux fils, Louis et Eugène, sont alors tous
deux entrepreneurs à Marseille. Quant à sa fille, Léonide, elle est désormais
établie à son tour à Alger avec son époux, preuve de ce que la famille a fait
souche de part et d’autre de la Méditerranée. Ce départ en Algérie s’est donc
traduit pour les Sarlin par une réelle réussite.
Tel
n’a pas été le cas pour Bournois qui, en 1857, de l’hôpital militaire de
Cherchell, lance un véritable appel au secours au commissaire civil du
lieu :
« veuillez permettre à
un vieillard malade, infirme et ancien soldat de vous exposer qu’après avoir
perdu son petit patrimoine il voulut cacher sa misere en Afrique avec sa femme.
A peine eut-elle quitté le sol natal qu’elle tomba malade. Ils furent obligés
de rester un mois à Marceille. Arrivés a Alger, la maladie s’agrat (sic) et
après un an de souffrance elle sucomba...
[…] il fit la demande d’une
concession qui lui fut accordée à Bourkika, ou il vint s’établir en septembre
1855. […] La récolte de 1856 fut si mauvaise qu’il n’obtint même pas les grains
qu’il avait semé. Il ne perdit pas courage. Il employa ce qui lui restait de force
pour le récolte de 1857 mais
autant la sécheresse de 1856 lui avait été funeste autant les pluies de 1857
lui firent de dégats. ».
Bournois se résigne alors, la suite de sa lettre le
prouve, à faire appel aux secours que, depuis 1852, le neveu de Napoléon
dispense régulièrement aux vétérans de la Grande Armée. Pour lui, l’Algérie n’a
donc pas été la terre promise que Sarlin a trouvée. Le marchand a mieux réussi
que le colon, l’homme du Sud a été plus heureux que celui de l’Est. Les destins
croisés de ces deux hommes sont emblématiques de la variété des devenirs des
vétérans de l’Empire après 1815. A ceux qui ont connu d’indéniables difficultés
pour se faire une place dans la vie civile, s’opposent ceux que le goût
d’entreprendre a mené sur les chemins d’une modeste réussite.
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